Rencontre du 13 février 2019 avec Ph. Dagen et M. Amara
C’est un sujet sensible que l’ACAP a voulu aborder, suite à la remise du rapport Sarr-Savoy. Il était de notre devoir d’être les premiers à Lyon à proposer à un large public un débat dépassionné et informatif… et effectivement nous avons battu notre record d’affluence ce soir-là.
Il faut dire que les intervenants se sont prêtés au jeu : des questions franches, des réponses concrètes… et un débat nourri avec l’assistance.
Ph. Dagen, professeur d’histoire de l’art à l’Université Panthéon-Sorbonne est l’auteur des articles sur le sujet dans « Le Monde », auquel il collabore depuis plus de 20 ans.
M. Amara, professeur à l’Université de Bamako et chercheur au Centre Max Weber de Lyon, est sociologue et s’exprimait non en tant que spécialiste de l’art africain mais comme un intellectuel malien à l’écoute des sensibilités de l’Afrique de l’Ouest.
Il vient de publier « Marchands d’angoisse. Le Mali tel qu’il est et tel qu’il devrait être », Ed. Grandvaux, 2018.
Le débat était animé par Y. Livian, universitaire engagé en Afrique et Président de l’ACAP.
Une question pas nouvelle mais relancée ?
– Il faut se remémorer les périodes historiques : d’abord les translocations de pièces en ivoire pour les Portugais, qui ont rejoint les cabinets de curiosité royaux dès le 16e siècle. Puis, dédain des occidentaux pendant la période de l’esclavage. Ensuite, début du 20e siècle, le regard occidental devient plus artistique (« art nègre ») : cette période va au-delà des indépendances (beaucoup d’objets ont quitté l’Afrique par la suite…).
Les restitutions non plus ne sont pas nouvelles (exemple : don de l’Etat belge à Mobutu). Ce qui est nouveau est le caractère politique de la question, soulevée par le discours de Ouagadougou en 2017.
– Le sujet du patrimoine est politisé : il est vu en Afrique comme élément de « notre identité » qu’il faut récupérer. Cela s’insère dans l’idée de nouveaux rapports Europe/Afrique.
– Insistons sur la diversité des origines des objets. Il y a des pillages militaires, à titre punitif, comme les objets d’Abomey réclamés par le Bénin (fortement restaurés d’ailleurs). A Benin City, les artefacts pris par les troupes anglaises ont été vendus aux enchères en 1898/1899 et dispersés dans plusieurs musées d’Europe. D’autres sont pris dans un rapport d’inégalité, mais on ne dispose d’aucune archive. D’autres ont été donnés en remerciements de services rendus… il y a une grande diversité des situations.
Qu’en pense l’opinion publique africaine ?
– Il y a des demandes du Bénin, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire… mais le rôle de la diaspora et des associations est important. Sur place, la question de l’art n’est pas centrale : il y a la santé, l’éducation, la pauvreté… il y a d’autres priorités.
– Le discours de Ouagadougou n’avait-il pas surtout pour objectif de dédouaner la France à l’égard de certaines formes de relations avec l’Afrique ?
– De toutes façons, une politique culturelle ambitieuse fait défaut : certains étudiants africains n’ont jamais eu l’occasion de mettre les pieds dans un musée…
– Se pose aussi la question du lieu d’attribution : par exemple, les objets Fang doivent- ils repartir au Gabon ou au Cameroun ? Le sabre d’El Hadj Omar devrait-il être rendu au Sénégal ou au Mali ?
Quelles sont les demandes et les actions actuellement engagées ?
– Pour l’instant, 26 pièces ont été identifiées par le Musée du Quai Branly et pourraient être rendues. Des actions sont en cours avec l’Ethiopie ou Benin City concernant les restitutions des prises de guerre. En revanche, pas de demande du Gabon ou de la RDC. Et concernant le nouveau Musée de Tervuren (Bruxelles) seule la diaspora congolaise en Belgique a réagi !
Dans quelle mesure y a-t-il des institutions locales susceptibles d’accueillir des objets ?
– De nouveaux musées sont inaugurés, comme à Dakar. D’autres sont en construction. C’est un travail de conception entre Etats, associations, pour que ces objets vivent et ne prennent pas la poussière. C’est aux Africains de s’en occuper, et les questions de corruption sont importantes…
– Mais la forme musée est-elle la bonne ? Des lieux ne sont-ils pas à définir selon les habitudes africaines ? Voir le cas du Cameroun : les objets ont une fonction politique, sociale, symbolique et artistique : ils ne demeurent pas tout le temps dans les vitrines.
En dehors ou avec les restitutions, quelles formes de coopération sont à envisager ?
– Les remarques d’E. Joly sur les Dogons sont prendre en compte : au Mali, il n’y a pas que les Dogons, ce que laisse entendre le rapport. Pourquoi les restitutions se focaliseraient-elles sur les grands masques spectaculaires les plus prisés par l’Occident ? Le regard occidental n’est pas celui des Africains.
Des prêts tournants sont aussi envisageables. On peut prévoir également des copies en Occident et les originaux en Afrique.
Que va-t-il se passer maintenant ?
– La prévision est délicate… Mais il semble difficile qu’il ne reste rien de cette phase…
– Une grande conférence européenne a été proposée : se tiendra-t-elle ? La France ne peut décider seule. Les Belges et les Anglais ne sont pas dans cette optique… Quant aux Allemands, ils négocient discrètement…
– Ces questions sont peu appropriées par les populations sur place. C’est le manque de politique culturelle à la base dans de nombreux pays qui apparaît aujourd’hui de manière criante : non seulement le manque de lieux culturels mais aussi la faiblesse des politiques éducatives sur ces sujets. (Mais en France aussi on visite peu les musées, surtout les jeunes !).
Les deux intervenants concluent sur la nécessité de construire un effort à long terme, au-delà d’actions ponctuelles, comprenant aussi des prêts, de la formation de conservateurs, des coopérations panafricaines… Mais des gestes symboliques auront certainement lieu à court terme.
Tous les débats autour du rapport ne peuvent pas ne pas avoir d’effets…
Pour nous à l’ACAP, un sujet à suivre par tous ceux et celles qui s’intéressent aux cultures d’Afrique et aux nouveaux rapports entre l’Europe et ce continent…
Compte-rendu succinct élaboré par Ch. André-Martin et Y. Livian sous leur seule responsabilité.
Une bibliographie est disponible sur le site.