Le 11 juin 2021, notre association a eu la chance d’entendre, en direct ou en visioconférence, à partir de la Galerie L’œil Ecoute (qui nous prête obligeamment sa salle) Maria Grace Salamanca anthropologue mexicaine, qui achève une thèse de doctorat de philosophie à l’Université Lyon3 et qui était interrogée par Yves Livian.
D’abord, une question qui n’est pas que de vocabulaire : peuples « premiers » ? « originaires » (comme le dit le langage officiel mexicain) ? Eux-mêmes s’appellent des « nations ». Certains revendiquent même de s’appeler « indios », qui était très péjoratif. Ce n’est pas un problème académique, c’est une question politique. Être indio, c’est être un subalterne, c’est être dépourvu des privilèges des autres. C’est aussi tout simplement être les survivants d’un génocide. Cette renaissance culturelle a commencé avec la révolution de 1910 : des intellectuels, des artistes lancent ce mouvement. Diego Rivera, par exemple, se met à peindre des gens qui lui ressemblent…Mais ce sont principalement des blancs ou des métis. Les peuples originaires ne portent pas ce mouvement eux-mêmes. Par contre, la lutte de l’«armée zapatiste » fin des années 90 a porté cette revendication : créer un autre monde, rejetant la colonialité de la société mexicaine.
Sur le plan artistique se pose la même question de l’infériorisation des productions de ces peuples. Qui fixe les canons esthétiques ? ce sont toujours les dominants. La frontière entre « craft » et « art » est arbitraire. Il faut se référer à une « esthétique décoloniale », proposée par W. Mignolo. Rien dans l’essence de l’objet ne dicte ce qui est beau ou non. Mais il est vrai que ces communautés originaires sont tiraillées entre le mimétisme occidental ou bien le folklorisme de la différence (qui plaît aussi aux touristes !)
Sur le plan de la santé (qui est le sujet de la thèse de Maria Grace), les remèdes traditionnels sont nombreux, et certains ont une efficacité thérapeutique, sans être générés par une recherche clinique ! ils supposent évidemment une non-séparation entre le corps et l’esprit : Maria Grace fait part de son étonnement lors de sa première visite à un médecin français (qui doutait de ce lien) ! Des pratiques que nous appellerions de « sorcellerie » se maintiennent dans le cercle familial ou amical, tout en ayant aussi recours, si c’est possible, à la médecine « moderne ». Mais les peuples originaires n’en ont pas toujours les moyens !
Pour conclure, Maria Grace souligne la contradiction à vivre : refuser la subalternisation et promouvoir les cultures originaires, mais sans s’enfermer dans un exotisme artificiel et un retour au passé. Il faut être fiers de cette position, «aux frontières». Le syncrétisme est d’ailleurs répandu, que ce soit en matière culinaire, ou religieuse ! il faut aller vers une diversité heureuse.
Un débat s’est ouvert…mais il a fallu passer avec plaisir à l’intermède musical offert par Maria Grace et son mari Octavio, qui nous ont transporté sur le golfe du Mexique en interprétant (chants et jaranas) du « Son Jarocho » de la musique populaire joyeuse et vibrante.