Exposition « Esclavage » Rijksmuseum d’Amsterdam

Faire une exposition sur l’esclavage au Rijksmuseum? Oui, bien sûr, mais nous n’avons pas de fonds sur ce sujet… ont répondu certains responsables de ce grand musée lors des réunions préparatoires lancées en 2017. Cinq ans plus tard, le Rijksmuseum propose une réponse intéressante, et qui utilise une démarche transposable à d’autres institutions.

Des hommes esclaves anonymes creusant des tranchées, ch. 1850, Rijksmuseum, acheté avec le soutien du Johan Huizinga Fonds/Rijksmuseum Fonds

D’abord, partir clairement du constat que l’esclavage est un non-dit de l’histoire néerlandaise (ça vous rappelle quelque chose ?) et se servir de l’exposition pour présenter le phénomène dans ses complexités et son extension géographique (les artefacts montrés se réfèrent bien sûr à l’Indonésie mais aussi à l’Afrique du Sud, l’Inde, le Surinam, la Guinée et le Brésil…). Ensuite, tenir compte du lieu, lui-même symbolique d’une histoire nationale (on retrouve la question posée au Musée Royal de Tervuren, devenu Africa Museum).

Pas de collection sur ces sujets ? Le Rijksmuseum emprunte à d’autres musées néerlandais et à une vingtaine d’institutions de pays anciennement colonisés par les Pays-Bas (très peu de Grande-Bretagne et de France). Mais surtout, il procède à un nouveau regard sur les objets de son propre fonds. Un exemple frappant : en 1749, la Compagnie des Indes Occidentales remet au roi Guillaume IV d’Orange une boîte dorée en écaille de tortue, contenant un document important. Magnifique objet, bien connu des conservateurs du musée : oui, mais que représentent les personnages gravés sur la boîte ? Le commerce dont la compagnie est fière : l’ivoire, l’or… et les esclaves. On ne l’avait pas vraiment remarqué !

Anonyme, Stocks de pied conçus pour la contrainte de plusieurs personnes asservies, avec 6 manilles séparées, c. 1600-1800, Rijksmuseum, don de M. J.W. de Keijze

L’exposition rassemble des documents, des tableaux, des objets usuels, des instruments de musique qui ont en commun, non pas de « traiter un sujet » de manière abstraite mais de raconter l’histoire des individus concernés par l’esclavage. En fait, dix personnages dont on suit l’histoire. Il y a Joao le guinéen déporté au Brésil, Surapati l’esclave émancipé devenu héros national de l’Indonésie, Tula le révolté, Mme Coppit riche femme de commerçant peinte par Rembrandt… des gens anonymes -sur lesquels on sait peu de choses- comme des personnages hors du commun dont les traces ont été retrouvées par les historiens.

Difficile de concrétiser humainement les (environ) 600 000 esclaves transportés par les Néerlandais et les milliers de commerçants, d’artisans et de planteurs impliqués dans cette traite ? Non pas du tout : ces personnages et les documents qui les représentent donnent de la chair à ce qui ne serait qu’un triste récit de l’aveuglement des Européens de l’époque. Une expérience risquée mais qui semble réussie. La presse a d’ailleurs salué ce succès.

« L’exposition s’est terminée le 29.08.2021 mais 77 objets du fonds permanent « liés au pouvoir colonial des Pays-Bas » font l’objet d’une information spéciale jusqu’au 28.02.2022. « Une nouvelle lumière sur la collection permanente ».

Voir également les articles du «  Monde » :

« Le RM brise un tabou… » J.P. Strobants 06.08.2021.

« Le silence et l’inertie des musées français sur l’esclavage et les colonies sont habituels », Ph. Dagen, 26.06.2020.

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